Au bout d’une semaine et quelques jours, de quoi me rends-je compte ? Qu’il me manque seulement un peu, lorsque je suis seul dans le lit, sans épaule où appuyer ma tête, sans corps contre lequel me blottir, son sexe entre mes fesses, ses bras joints autour de moi, son absence d’odeur forte, ce qui m’a toujours impressionné, son long sexe qui pendouille entre ses jambes, et qui durcissait rapidement sous l’effet de caresses manuelles et buccales, les pénétrations qui me faisaient bander comme personne d’autre n’avait réussi à le faire, et ce seulement au bout de trois années, alors qu’il arrivait enfin à me donner sa bouche à embrasser. La dernière fois que nous avons baisé — ou fait l’amour, comment discerner ? — nous avons jouit en même temps. Il a réussi à me prendre comme jamais nous n’avions fait, faisant durer le plaisir à me rendre fou, mais pas à me rendre ivre comme d’autres fois. Il en a fallu du temps pour être à peu près en phase sexuellement : trois ans, trois longues années au cours desquelles je l’ai trompé à plusieurs reprises, cherchant chez l’autre ce qui me faisait défaut : pénétration, tendresses, baisers. Je me suis rendu compte avec ces aventures que ce n’est pas la première fois la meilleure, mais la deuxième, alors que mon corps s’est habitué à la nouvelle recrue. D’aventure suivie, il n’y en a eu qu’une, une qui a failli mener à la rupture s’il avait été dans une contrée plus proche. À cet épisode j’ai retrouvé la sensation d’être amoureux, celle des premiers jours de la bluette. Mais non, je n’ai pas fait durer, pour diverses raisons.

Nos relations avec Fulgence sont faites, de ma part, d’habitudes. Récemment, quelques jours avant notre séparation, je me suis vraiment rendu compte que ce n’était pas la personne avec laquelle je m’épancherais : manque de compréhension de ce côté. De même, passer une journée ensemble me paraissait insurmontable ainsi que passer des vacances ensemble, je comprends pourquoi aujourd’hui. En fait non, je ne comprends pas, mais je l’admets aisément. Qu’est-ce qui cloche également ? Je ne l’aime plus, depuis longtemps. Je n’ai pas ces palpitations, ces désirs de le voir et de rester avec lui pour rien, juste pour être avec. Peut-être les a-t-il lui encore, je le pense, et qu’il soit déçu et triste me désole d’autant plus.

Je me surprends à l’oublier. Si c’est vrai, cela aura été rapide. J’ai l’impression de l’oblitérer de ma pensée, comme s’il n’avait jamais existé, comme si trois ans et demi n’avaient jamais existé. Et ça me fait peur. Que vais-je retenir de lui ? Ses apports musicaux, son éducation musicale populaire, les gens que j’ai côtoyés, le statut social qu’il m’a apporté. Il m’a permis d’oublier un peu Cyril, ou bien est-ce le temps qui a fait son effet ? Aujourd’hui je n’ai plus le goût pour avancer la rénovation de la maison. Ma lombalgie n’est qu’un prétexte, je le sais très bien et je m’en accommode. La véritable raison est qu’il ne viendra jamais habiter dans cette maison comme je l’avais concédé récemment. Nous nous sommes tournés autour à ce propos pendant trois ans. L’usure, il m’avait eu par l’usure et la preuve que nous pouvions cohabiter. Il est parti avant de réaliser son souhait.

Dans ma tête je me sens libéré : lui voulait passer tout le temps qu’il avait de libre avec moi, et moi pas. Il avait concédé cette chimère du couple libre, celui où baiser à côté ne serait qu’accessoire en regard de nos liens sous-jacents plus forts encore. Chimère. Il n’a pas voulu accepter ce qu’il aurait trouvé inacceptable à cette heure. Quelle force a-t-il eu pour laisser s’échapper son amour ! J’en éprouve un profond respect.

Je n’ai pas envie de le revoir. Pas maintenant. Je vais l’oublier certainement. Jamais nous ne pourrons être amis, car rien ne nous rapproche à part cette histoire : pas de conversation, des idées communes, certes, mais rien à se dire.